Et un, et deux, et pas trois zéro

Autant lever immédiatement cet insoutenable suspens : après un premier but en 2012 – hypothermie et abandon au Cormet de Roseland, un deuxième en 2015 – coup de chaleur, vomissements et abandon à la Gittaz, je suis enfin venu à bout de ce putain de chantier.

119 km, 7300 m D+, sur des chemins souvent techniques, quelques grosses sections, le tout parcouru en 29h38, à la sidérante vitesse de 4km/h … Une édition sous le soleil, pas un nuage de toute la course, une température qui a dû pointer à plus de 30° en vallée.

Logiquement beaucoup d’abandons : 735 des 1794 partants, ce qui me classe dans le premier tiers des partants, et dans le premier quart des V2H.

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Le succès sur un ultra c’est ⅓ le mental, ⅓ le bide, et ⅓ le physique. Là ça a fonctionné.

⅓ au mental : la gestion de course

Ca va être long et, sauf à tomber sur la trousse à pharmacie de Lance Armstrong, je sais qu’il me faudra plus de 27h; et pourtant, dans l’enthousiasme, j’ai tendance à cramer un peu trop de fuel au début, à m’accrocher à ceux qui me doublent, à chercher à prendre le plus d’avance possible sur les barrières horaires, à appuyer un peu trop en descente, au risque de m’en prendre une sévère (10 points de bonus ainsi obtenus après 2h de course lors des 80 km du Mont-Blanc) .

Un vague côté compétiteur ? Un problème d’accumulation de testostérone au départ ?

Heureusement là j’ai eu les rappels à l’ordre (“gère, gère”) de mon ange gardien, Cyril, qui m’a accompagné sur la course (et s’est mangé 400 km en caisse, forcément y’a des moments où il faut contourner les massifs).

J’ai commencé par m’ancrer un objectif dans la tête : FINIR ! Indépendamment du temps, du classement. Finir et sans me blesser, ni me mettre dans le rouge pendant la course. Il m’aura quand même fallu deux-trois premières heures à évacuer toute velléité d’en faire trop.

Une fois boulonné dans la tête, ce leitmotiv va m’aider à créer une bulle de protection anti-pensées négatives : en trail, dès que je me mets à gamberger et à faire des calculs sordides qui aboutissent au résultat que ça va pas le faire, je me pète la gueule; alors place à l’émotion et aux sensations. Et je vais aussi m’autoriser pleins de micro-repos de 10mn max; incroyablement relaxantes ces brèves pertes de conscience, allongé et détendu sur le bord du parcours.

Alors les étapes vont s’enchaîner, avec la lenteur brutale de l’ultra :

  • J’en finis avec la mise en bouche avec 2h15 d’avance au col du Petit Saint-Bernard (km 36), une courte pause d’une dizaine de mn, pour refaire le plein et avaler une soupe chaude (avec ce froid, ça s’impose) et surtout salée.

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  • 2h30 d’avance à Bourg-Saint-Maurice (51k), après la longue descente dans un four solaire. Une vingtaine de minutes de pause, où j’avale un bon demi-litre de Saint-Yorre que m’a amenée Cyril, pour me préparer à la longue montée vers le col de la Forclaz (pas une vallée dans les Alpes sans son col de la Forclaz).

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  • S’en suit la grosse montée, sous la chaleur, sans fontaine pour se refroidir le carter; dur dur; toutes les 20-30 mn c’est la pause, des fois allongé au pied d’un buisson ou d’une rocaille pour avoir la tête à l’ombre. Passage au Fort de la Platte avec 2h25 d’avance. Là haut c’est concours de T-shirt mouillé à grands coups de tuyau d’arrosage.

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  • Déjà 14h de course, et après le passage du redoutable Passeur de Pralognan, et ses premiers mètres de descente abrupte où mon passé de grimpe me facilite la tâche (d’ailleurs si toutes les descentes étaient aussi pentues je serais loin devant, incroyable de voir combien un trailer est mal à l’aise dès que ça gaze un peu), me voici au Cormet de Roseland (km 66), avec 3h40 d’avance; moins que l’année dernière (5h), mais en bien meilleur état. Le jour se couche, je m’offre un bon break de 30mn, prends le temps de me changer, de me Noker les pieds, de me préparer pour la nuit, et même de manger quelques pasta. J’observe à mes côtés, avec beaucoup de compassion, mais sans nostalgie, un coureur en train d’agoniser dans mon état de 2015.

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  • Un peu nauséeux à l’arrivée à la Gittaz : la longue descente m’a un peu remué le bide ? l’altitude moyenne à 2000m depuis le début ? la chaleur ? 3h30 d’avance … “merde, la malédiction du vomito ne va pas encore me frapper ?!”. Je me reprends 30mn de pause, en allant m’allonger dans un lit (si si, avec oreiller, sans les chaussures) au final un peu trop chaud. En repartant je fais 50m et tente de me débarrasser de ma nausée, mais rien ne sort … Tant mieux, au moins ce que j’ai avalé jusque là semble avoir passé la barrière de l’estomac !
  • Section toujours nauséeuse vers le Col du Joly (km 85); un petit break sous les étoiles, dans un calme absolu; la guirlande de frontales s’allonge, il y a du monde devant, derrière; interruption de quelques minutes par une intervention de l’hélicoptère de secours qui va faire trois rotations; impressionnant de voir cela dans la nuit, j’ai mis du temps à comprendre ce qui se passait. Mes 15mn de pause réglementaire au ravito où je m’allonge (ou plutôt me vautre) sur le sol à l’entrée de la tente, trop chaud à l’intérieur, puis me précipite sur le côté pour régler ce différend avec mon bide, mais toujours sans effet. Un peu claqué, quand même. Mais déjà c’est reparti pour une longue descente annoncée comme coriace, et qui le sera. La prudence est toujours de mise, et ça tient.

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  • Enfin les Contamines (km 95), toujours 3h25 d’avance, pause de 30mn pour prendre un bon café, et me refaire une beauté pour la dernière section; encore un bon 1000m de D+, dont la montée bien raidasse au col du Tricot, heureusement encore à l’ombre, et qui va passer assez vite; il faut dire que cela commence à sentir l’écurie (et le poney, aussi, si on se rapproche de moi): “juste les deux dernières descentes à gérer sans s’envoyer une cheville en l’air et cela devrait passer”.

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  • 3h10 d’avance aux Houches, “c’est dans la poche”; une brève pause sans se presser, pour entamer la dernière section de 8k presques plats qui sera du pur bonheur.

Arrivée à 11h38, 29h38 de course, 3h22 avant le glas, sans jamais avoir été en zone rouge. Beaucoup de temps passé aux ravitos, ou en pause micro-sieste (alarme de téléphone branchée, en ayant l’air suffisamment bien installé pour que les coureurs ne te demandent pas si “ça va ?”), alors les places et les minutes défilent, mais à la fin la ligne d’arrivée est franchie.

Ahh, cette arrivée. Un bon gros vrai kif de 500m, nourri par les bravos du public; il faut voir ça, il y a un monde de déglingos qui gueule. Et le franchissement de la ligne ? C’est quelque-chose ! Emotion et gros frisson, Je suis dans un état second, un peu du mal à atterrir.

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Mon bide me fait mettre une dernière fois le clignotant à droite (super glamour, la tête direct dans une benne à ordure !), mais toujours rien et cette vilaine nausée ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir; une petite mousse avec Cyril sur un carré de pelouse à l’ombre et c’est la fin.

Reste à dormir, reprendre une mousse, redormir, reprendre une mousse, etc. De la vrai récup active, quoi.

⅓ dans le bide : hydratation et alimentation par bonne chaleur

L’hydratation a été clé sur cette course, et hors de question de reproduire les erreurs de 2015 avec des conditions encore plus chaudes. Donc 1,5l d’eau en partant de chaque ravito; de l’eau, pas de boisson d’effort que je n’arrive pas à digérer. Un des deux bidons est vite dédié à l’eau gazeuse, l’autre à l’eau plate.

Comme j’ai peur de manquer, ou de ne pas trouver de fontaine pour un refil, j’embarque 1l en plus à partir du Lac Combal et jusqu’au fort de la Platte.

Ce précieux litre je le trimbalerai inutilement (1kg) sur 35 km, car j’ai toujours trouvé un point d’eau; mais pendant les 5km de montée de la Forclaz je vais pouvoir me payer le luxe de m’asperger et de boire comme il faut, et là j’avais de l’or bleu entre les mains.

Côté alimentation j’ai trouvé mon équilibre, en embarquant miel, compotes et pâtes de fruits, ça passe bien, facile à ingérer, avec comme rituel de me faire un petit coup de sucre 15mn avant une nouvelle difficulté. Le tout complété par un peu de salé aux ravitos, et toujours deux trois verres d’eau gazeuse et de coca.

Seul bémol : cette nausée qui m’a pris dans la descente vers la Gittaz pour ne plus me lâcher de la nuit … pas digestif a priori, plutôt le cumul d’effort sur la journée et dans la chaleur ? Mais bon cela m’a plus alerté que géné.

Et le ⅓ physique, alors ?

Avec une préparation en dents de scie ce n’était pas gagné ! J’ai opté pour un entraînement normal avec des sorties courtes (1h30 max), et faisant mes sorties longues une fois par mois sur un trail d’au moins 6-8h. Ca c’est bien, mais un peu moins de côtes que l’année dernière (même pas une sortie aux 25 bosses) et surtout pas de PPG, du coup j’ai vraiment un gainage de chamallow, ce qui coûte cher en descente.

Mais le gros problème a été une chute fin juin lors des 80 km du Mont-Blanc, avec une bonne entorse cheville droite. Bilan : entrainement au ralenti sur l’été et kiné pour restaurer un peu de proprioception.

Ca a payé, car la cheville a bien tenu; faut admettre que j’ai été très très attentif et prudent en descente; deux ou trois placements malheureux mais la réaction a été bonne; à travailler, donc, pour retrouver un peu de vitesse, mais c’est sur la bonne voie. Une course sans bâtons. C’est bien passé, mieux que pendant la Maxi-Race où ils m’avaient manqué. Là honnêtement ça a été confortable. Comme quoi …

Que dire de plus ?

Que je suis ravi, soulagé, rassuré d’avoir enfin franchi cette marque, et d’avoir pu apprendre de mes échecs. Peut-être bientôt un vrai 100 miles de montagne ? En tout cas je ne suis jamais senti aussi bien préparé !

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